Nouveau record de distance en parapente dans les Vosges, 193 km en triangle FAI.

L’année 2018 est excellente pour les vols de distance. Dans les Vosges nous avons eu un enchaînement de plusieurs belles journées en avril. Juin a été très généreux. Et grâce aux fortes chaleurs, juillet a été exceptionnel avec des rues de cumulus sur le massif et aussi surtout en plaine, agrémentées de plafonds très hauts, plusieurs journées entre 2500 m et 3000 m, voir 3300 m le vendredi 27.

Je savais bien que mon précédent record allait bientôt tomber, mais je ne savais pas qui allait le réaliser et de combien il allait progresser. Avec une certaine motivation, un minimum d’entraînement et un peu de chance, pour la troisième fois consécutive, j’ai pu le faire évoluer, 133 km en 2010, 168 km en 2014 et cette année 193 km.

Le récit de la journée du 18 juillet 2018:

Je prends la route le matin à 7h00 direction Oderen et l’Aerotec. En arrivant sur place vers 9:30, il y a coté Est du Treh, un cumulus qui sur-développe déjà beaucoup trop pour cette heure. Cela confirme les prévisions d’étalements importants pour le début d’après-midi des modèles météo. C’est ce que je craignais, pour moi les chances que ce soit une belle journée tombent à 50%. La navette de Cumulus est sur le départ pour des biplaces, ils me proposent de me monter.

Arrivé au décollage, les surdéveloppements ont diminué et l’aérologie s’organise dans le bon sens, le moral remonte. Je me prépare vite et me lance en l’air en décollant sans vent. Il est 10:15, la crête qui descend sur l’Aerotec est déjà bien allumée, les thermiques sont francs, je suis au plafond à 1900 m à 10:20. Comme d’habitude je fais une balise en vallée, sur Saint Amarin, pour assurer la fin du parcours au cas ou je devrai rentrer bas. Retour sur le Treh sans vraiment faire complètement le plafond et premier point difficile que je n’anticipe pas. J’arrive trop bas côté Nord du Markstein. Je ne peux pas passer côté Est des crêtes, il y a trop d’ombre. Je suis obligé de me jeter côté Ouest sur le Griebkopf, au bas de la ferme du Schafert, qui lui est ensoleillé. Premier point bas, première perte de temps, Heureusement je remonte vite à 2000 m. L’avantage des journées aérologiques exceptionnelles c’est qu’on arrive souvent à se sortir de points bas et ce ne sera pas le dernier, ni le plus difficile de la journée. Je peux repartir en direction du Nord sur la crête principale.
Je dois me dépêcher de rejoindre les avants reliefs côté Saint Dié pour ne pas subir les étalements sur les crêtes. Je transite sur le Herrenberg, plafond, puis sur la face Sud du Kastelberg en évitant le Rainkopf. C’est plus court et c’est sous le vent, donc plus rapide et ça monte mieux, plafond 1900 m. Direction la roche du Diable, plafond 2000 m. Sans enrouler J’arrive au Valtin à 2100 m.
Il est seulement 11:20, pour continuer de l’avant c’est le moment de quitter la crête des Vosges et de transiter sur les avant-relief qui mènent à la plaine au Sud de Saint-Dié. C’est vraiment très tôt, les vrais difficultés vont arriver… Je reprends un thermique en milieu de transition près de Anould. Sur cette petite plaine les plafonds sont tombés à 1800 m. J’assure, c’est compliqué, au troisième thermique, il est midi, je suis sur le décollage du Kemberg de Saint Dié, quatrième thermique et j’arrive sur la Madeleine. Première plaine traversée, le plus dur reste à faire.
Prochain objectif, traverser la deuxième plaine pour rejoindre Clairefontaine et Raon l’Etape, les plafonds vont encore baisser… Je prends confiance, je navigue vers les zones ensoleillées et j’évite les zones à l’ombre. C’est pour cela que je me dirige vers Raon plutôt que Senones ou il y a déjà trop de cumulus et beaucoup d’ombre, en plus de grandes zones de forêt. Je ne connais pas trop cet endroit, peu de pilotes y sont déjà allés. Mon objectif est de me refaire sur la Roche des corbeaux au Sud de Raon, l’avant dernière crête avant la plaine qui donne sur la Lorraine. Malheureusement, à mi-transition, je me fais enfoncer par la brise de Nord qui rentre dans le massif. Je perds de plus en plus d’altitude et je sens que le raccrochage va être difficile. Je n’ai plus beaucoup de choix, je m’obstine et me rassure en me disant que le thermique sera sur les faces Sud sous le vent. Malheureusement il n’y aura pas de thermique à cet endroit. Là ça sent vraiment le roussi. Je suis sans appuis, sous le vent, à 200 m sol, sous mes pieds de la forêt, une ligne à très haute tension, un village, et quelques champs posables. Il ne me reste pas beaucoup d’alternative pour sauver mon vol, la moindre erreur de prise d’information, d’analyse, de placement et de centrage du thermique va me faire perdre de l’altitude et me contraindre a trouver un atterrissage d’urgence pour poser. Le vol sera fini, il ne me restera plus qu’à rentrer en stop et à observer l’aérologie depuis le sol. C’est dans ces moments que je dois donner le maximum. Je décide en premier de m’écarter de la forêt et d’aller vers les champs ensoleillés et le village, c’est à peine vallonné. Je suis hyper tendu dans ma sellette, mais en même temps complètement relâché au niveau de mes sens et à l’écoute de chaque mouvement de la masse d’air. Je trouve un zéro que je centre et que je dérive, je passe à 80 m sol à cause de la topographie du relief. Des raccrochages à moins de 100 m sol j’en ai réalisé des dizaines, ça ne m’inquiète pas surtout quand ça zérote, je suis super concentré, j’ai confiance. En dérivant je passe dans une deuxième bulle qui me remonte à 200 m sol, ça c’est bon… Puis je dérive encore dans une troisième bulle que je ne vais pas lâcher jusqu’au plafond à 1600 m. Yes, je m’en suit sorti, j’ai du gaz sous les pieds, je peux continuer mon vol. Je prends le cap vers Raon l’Etape. Il y a des rues de cumulus bien joufflues et du soleil sur tout l’horizon en plaine, c’est toujours trop ombragé à l’Est de Senones. Je me refais sans problème sur la ville à 1600 m. J’essaie de remonter vers le Nord en plaine, mais la brise de 10-15 km/h me contre dans ma transition. J’arrive encore une fois hors cycle, tout est boisé autour, avec en plus une aérologie capricieuse, j’y ai déjà posé ce printemps. Je décide donc de fuir. Je retrouve un thermique qui me remonte à 1000 m sur la grosse carrière au Sud Est de Raon. Je regarde ma montre, il est 13:20, j’ai encore le temps de prospecter. Vu que l’option par le Nord ne fonctionne pas, je me dirige maintenant vers l’Est pour éloigner mon premier point du triangle. Je passe Senones, j’arrive à Petit Raon. Je refais un plafond à 1700 m, avec toujours une bonne dérive de Nord. J’aurai aimé continuer mais il y a trop d’ombre et de forêt dans ce secteur. Il est 13:45, je décide de partir vers le Sud Ouest en direction de Remiremont le second point du triangle.

Départ de Senones, beaucoup trop d’ombre et de forêt dans ce secteur.

Ce n’est pas la peine de retourner vers le massif, passer directement par les avant-reliefs sera beaucoup plus actif et rapide. A 14:15 je suis à 1700 m sur Saint Dié.

Entre Senones et Saint Dié.

Dans la transition qui suit je vais encore devoir négocier une petite difficulté. Toute la vallée de Taintrux au Sud est dans l’ombre, les cumulus sont au dessus d’une grande zone de forêt au Sud Ouest où il n’y a pas beaucoup d’atterrissages. Il faudra que je trouve un thermique en milieu de transition. Voila la partie difficile du vol est derrière moi. Ensuite je transite sur Grange en Vologne, plafond 2100 m, puis en direction de Saint Nabor. Là, je me refais une grosse frayeur. J’arrive encore une fois hors cycle, point bas 300m sol sur le plateau derrière la Tête des Cuveaux à l’Est d’Eloyes. Si je ne retrouve pas vite un thermique je vais poser sur le plateau. Heureusement en continuant bas sur mon axe, je touche la confluence et je peux reprendre progressivement de l’altitude pour finir presque tout droit à 2300 m sur Pouxeux.

Au loin Epinal.

La plaine est magnifique, les plafonds sont à 2500m.

C’est l’euphorie, les cumulus sont partout sur la plaine, le sol est sec, le soleil chauffe, je vais me faire un plaisir de naviguer vers mon deuxième point du triangle avec des plafonds à 2500 m ! J’ai la ville d’Epinal au Nord, je me dirige au maximum vers l’Ouest. Je regarde ma montre, il est 16:10, je suis au plafond, il me reste encore 70 kilomètres à parcourir pour faire le troisième point et rentrer au goal. Je décide quand même d’aller chercher un dernier cumulus encore plus à l’Ouest.

Au loin à droite Remiremont, sur l’horizon les Vosges du Sud.

16:25, je fais demi tour au plafond pour retourner vers le massif et faire le troisième point qui sera vers Thann. Je passe sur Remiremont, je ne trouve pas de thermiques. Un petit passage difficile jusqu’à Saulxures et puis je retrouve une ascendance avant le Ménil.

Saulxures, retour vers Thann.

Je suis au plafond à 2500 m au Nord de Bussang. Là je retrouve les étalements sur le massif, tout est à l’ombre dans la vallée de Thann. Je suis obligé d’aller chercher les thermiques sur les faces Ouest de la crête qui mène du Rouge Gazon au Rosberg, la vallée de Masevaux est elle encore ensoleillée. Je refais le nuage avant le Rosberg à seulement 2200 m sans doute à cause du peu d’ensoleillement dans ce coin pendant la journée. C’est mon petit moment de poésie, après plus de 8 heures de vol, en arrivant sous le cumulus, je suis rejoins par un nuage de dizaines d’hirondelles, peut être attirées par de nombreux petits insectes propulsés là haut par une bonne restitution. Oderen et la majorité de la vallée de Thann sont toujours dans l’ombre. La plaine d’Alsace et l’entrée de la vallée de Thann sont au soleil. Je me dirige en direction de petits cumulus qui se forment au dessus du Grumbachkopf avec comme sources les faces Ouest et le village de Bitschwiller les Thann. Il est 18:40, je pars au plafond à 2000m pour faire le troisième point du triangle sur Thann, j’ai déjà 185km de distance au compteur mais il faut encore boucler. Au retour les petits cumulus sont toujours au-dessus de Bitschwiller, je remonte à 2000 m. Le soleil revient progressivement sur toute la vallée de Thann, le vent est d’Est 10-15 km/h sur les crêtes, il est 18 :50. Là, je fatigue, je me dis que je ne suis pas allé assez loin et qu’en étant à nouveau si haut, je pourrais tenter d’y retourner une deuxième fois. En sachant qu’en allant plus loin je vais rentrer plus bas et peut être pour finir ne pas rentrer du tout… Je suis à 8 kilomètres du goal, et je ne sais pas comment est la brise dans la vallée de Thann, sans doute nulle, mais peut être descendante aussi. Je repars une deuxième fois pour faire le troisième point un peu plus loin mais avec la peur de ne pas rentrer.

Thann

Au retour je refais un dernier plein a Bitschwiller et je rentre directement sur l’Aerotec. J’arrive au dessus de Saint-Amarin, le point pour boucler mon triangle avec plus de 900 m par rapport au sol, puis avec 600 m au dessus de l’Aerotec. Il est 19:15, j’ai volé plus de 9 heures sur un nouveau parcours en triangle de 199,6 km, 193km FAI.

Le plané final vers Oderen et l’Aerotec.

Petite cerise sur le gâteau, normalement, quand je pose après un vol aussi long il n’y a plus personne à l’atterrissage. Tout le monde est déjà rentré… Et là pendant mon approche, je vois pas mal de monde sur la terrasse du Wagga. Et bien en fait, je suis arrivé juste avant le début du repas du Championnat de France des Jeunes qui se déroulait dans les Vosges pendant la semaine. J’ai été accueilli à l’atterrissage, j’ai juste eu le temps d’enlever ma sellette et l’organisation m’a invité pour l’apéritif et un petit repas. J’ai retrouvé plein d’anciens copains, ce vol se termine très bien, Nickel !!!! Après ce convivial repas, j’ai dû rentrer chez moi à 2h30 de route, le lendemain à 7h45, je devais être au boulot pour faire une journée complète de biplace…. Avec mes stocks d’endorphine et d’adrénaline remplis au maximum je n’ai pas senti la fatigue.

Image satellite de la journée, la masse d’air est excellente, les cumulus recouvrent tout le massif ainsi que la plaine coté Lorraine…

Les points clés du vol:

Je pense que là où tout c’est joué, c’est sur la décision d’aller voler ce jour-ci. La semaine précédente, je m’étais levé à 6:00 du matin pour relever les derniers bulletins météo et en fin de compte j’avais renoncé car les prévisions annonçaient des sur-développements trop importants sur le massif. En fait la journée s’est avérée excellente et Maxime Kuster réalisera un vol extraordinaire, avec une aile moins performante, 150 km en triangle FAI avec une moyenne de 27km/h. Cette fois-ci, la veille, j’avais prévu de remonter voler avec Silas, un des concepteurs d’ADVANCE. Vu les prévisions de gros étalements sur le massif des différents modèles météo, j’ai d’abord annulé le projet en fin d’après-midi. Ensuite le soir,  je me suis dit que je reprendrai quand même les nouvelles analyses à 6h du matin. Le lendemain matin les prévisions étaient identiques à celles de la veille. Mais comme j’avais déjà raté une excellente journée quelques jours auparavant, je n’ai pas eu confiance dans les prévisions et je me suis dit qu’il fallait tenter, en sachant qu’il y aurait des chances que je me déplace pour rien. Et ce fût la première bonne décision de la journée car l’aérologie fût exceptionnelle.

La deuxième prise de décision importante fut lors de mon point bas à moins de 100 m sol, au Nord près de Clairefontaine. Dans ce genre de situation c’est l’expérience et la maîtrise qui rentre en compte. Si on se focalise rien qu’un peu sur l’enjeu du résultat, il y a de fortes chances de ne pas être à la hauteur et de perdre ses moyens. Il faut être complètement dans le moment présent, dans l’action, dans le beau geste, dans la finesse et la précision. Tout ce qui ne concerne pas le fait de monter est occulté, et tous les sens sont à l’affût.

Le reste du vol c’est fait tout simplement, par automatismes, acquis suite aux nombreux vols que j’ai déjà réalisé dans les Vosges. Sur la fin à Thann, je n’ai plus été assez lucide pour vraiment optimiser la fin du parcours, mais c’est normal après 9 heures de vol et l’objectif est atteint puisque je rentre au but.

Au niveau de ma motivation:

J’aime voler dans les Vosges. C’est là que j’ai appris à voler. Je connais très bien le coin mais je découvre et j’apprends encore plein de choses sur son aérologie. Le vol se rapproche plus du vol de plaine que du vol en montagne. Dans les Vosges il faut être haut pour avancer et le relief est toujours assez loin sous les pieds. Tout ces facteurs me permettent d’avoir un excellent niveau de maîtrise, de performance, de plaisir et de sécurité.

Ce que je recherche, c’est la journée aérologique exceptionnelle, le combustible indispensable en vol libre pour se déplacer sur de longues distances, et qui me permet de repousser mes limites. J’ai deux motivations que je dois gérer. La plus importante, me dépasser moi-même, avec un objectif de maîtrise. La seconde est d’être performant avec comme objectif un bon résultat. Certaines journées quand mes motivations sont bien équilibrées, pour être clair : Plus axées sur le jeu et le contrôle que sur la performance et le résultat, que j’ai déjà un bon volume d’heures d’entraînements et que je suis sur un parcours connu avec une aérologie généreuse, je comprends parfaitement son fonctionnement et j’arrive à anticiper son évolution sur plusieurs kilomètres en amont. Tout s’enchaîne très facilement, mon analyse et mes choix sont bons, il n’y a pas de difficultés. Si il faut, je suis capable de faire un grand détour pour arriver à mon objectif sans sentiment de frustration. C’est quand l’objectif de performance prend le dessus sur mes motivations que tout devient plus tendu et plus difficile, je deviens alors bien moins performant. C’est un peu compliqué mais c’est comme ça que ça fonctionne. Si mon objectif est d’être premier, et que je suis focalisé sur le résultat, il y a peu de chances que cela fonctionne, et si cela fonctionne tout sera très tendu, sur le fil du rasoir, avec un sentiment de difficulté. Par contre si mon objectif est d’être premier et que j’arrive à me focaliser sur des objectifs comme me dépasser moi-même, bien jouer, jouer juste, en étant capable d’occulter l’enjeu du résultat, alors je suis très performant avec un grand sentiment de lucidité, de contrôle et de facilité. Ces deux dernières saison j’ai réussi à être dans cet état d’esprit et cela se retrouve dans les résultats.

Pour moi la saison est presque finie. Si les conditions sont bonnes en août je remonterai une dernière fois pour enrouler les thermiques vosgiens. Et puis je vais faire une longue pose jusqu’au printemps prochain. Si les sensations me manquent et que la motivation est de retour, je repartirai peut être pour une nouvelle saison de cross. Les records sont faits pour être battus, la relève est assurée avec de jeunes pilotes comme Flavio et Maxime, dans les prochaines années les distances vont donc encore progresser, à condition que l’espace aérien ne soit pas de plus en plus restreint pour le Vol Libre.

Le lien pour visionner le vol.